Parlement : réponse à Bernard Accoyer
Jean-Jacques Urvoas, Delphine Batho, Christophe Caresche, René Dosière, Catherine Lemorton, Bruno Le Roux et Jean Mallot députés socialistes.
Dans sa tribune (Libération du 26 janvier), le président de l’Assemblée nationale se livre à un extraordinaire et peu convaincant numéro d’équilibriste. Défendant la réforme du travail parlementaire imposée par l’UMP, il cherche à convaincre qu’elle contribue, comme la révision institutionnelle de juillet 2008, à revaloriser le Parlement.
Singulière analyse, en réalité. Il ne suffit pas d’asséner inlassablement une contrevérité pour qu’elle se transforme en son contraire. Des pouvoirs nouveaux pour l’Assemblée, mais lesquels ? L’ordre du jour partagé entre le gouvernement et la Chambre n’est qu’un habillage, car si demain François Fillon ne décidera plus seul c’est uniquement avec Jean-François Copé qu’il devra composer… La «limitation» de l’art. 49-3 ? Sur une seule année, le gouvernement pourra y recourir à huit reprises (1) ! Le contrôle de l’exécutif ? Pourquoi pas, mais privilégier le contrôle n’est pas anodin dans la mesure où il s’agit alors surtout de surveiller en accompagnant, bien plus que de s’opposer… Quant au projet de loi organique qui vient d’être adopté par l’Assemblée, il s’inscrit dans la même veine. Rien n’est plus révélateur que la manière dont cette affaire a été conduite. Relevons d’abord que l’opportunité d’un tel texte paraît pour le moins sujette à caution. En passant en force comme il l’a fait, le gouvernement a lumineusement démontré que la Constitution et le règlement de l’Assemblée lui conféraient déjà un impressionnant arsenal de mesures lui permettant d’imposer ses vues.
Soulignons ensuite que l’argumentation avancée - «lutter contre l’obstruction» - n’a jamais été étayée. Au-delà de la malhonnêteté intellectuelle consistant à en exagérer l’importance (sur 1 518 textes de lois adoptés depuis 1981, seuls 7 ont fait l’objet d’un débat dépassant cent heures), la réalité s’impose : depuis le début de la législature, il n’a pas fallu plus de deux jours en moyenne à la majorité conservatrice pour faire voter ses lois ! Rappelons enfin que cette réforme louée par Bernard Accoyer a été menée à la hussarde, d’une manière particulièrement brutale, à coup d’interprétations partisanes du règlement de l’Assemblée nationale, de piétinement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou de détournement de l’article 44-2 (2) de notre loi fondamentale. Etrange façon d’illustrer le respect des fameux «droits de l’opposition».
Mais il y a pire encore. Cette réforme de la procédure parlementaire aurait pu - aurait dû - faire l’objet d’un accord unanime, car il est vrai que le Parlement ne travaille pas dans de bonnes conditions. Nous discutons de trop de lois qui sont trop vite adoptées, qui s’avèrent trop complexes et qui finalement ne sont pas appliquées. Cette dilatation législative fait naître dans l’opinion une incompréhension qui se transforme en scepticisme sur l’efficacité des réformes successives, en même temps qu’elle rend le droit plus abscons et plus incertain.
L’Assemblée nationale est devenue une espèce de machine à fabriquer les lois, tellement sollicitée qu’elle atteint aujourd’hui ses limites. Et le recours abusif du gouvernement à la procédure d’urgence tient toute sa part dans la dégradation observée. C’est cette inflation de textes qu’il fallait combattre pour être utile à nos concitoyens. Ce n’est pas le chemin choisi par Nicolas Sarkozy. Rétif à toute opposition, impatient, étranger à la démocratie parlementaire, refusant d’entendre d’autres vérités que la sienne, le président de la République entend faire plier le temps des hommes et de la loi à sa tentation de concentration des pouvoirs. Le Parlement n’est pour lui qu’un mal nécessaire qu’il souhaite remodeler à sa guise. Il voudrait le réduire au rôle de tâcheron législatif, confiné à l’adoption des projets transmis par les cabinets ministériels et sommé de les ratifier dans les meilleurs délais en les modifiant le moins possible.
Il n’est évidemment pas question pour nous d’accepter une telle dérive. «La révolution du temps parlementaire» à laquelle nous appelle le président de l’Assemblée nationale n’est pas la nôtre car nous savons que pour les astronomes, depuis 1727, la révolution est la rotation d’un corps autour de son axe… Elus de la nation, comptables des intérêts de notre pays, nous ne serons jamais les greffiers d’un exécutif dont la frénésie quasi existentielle ne trouve sa légitimité qu’en elle-même.
(1) Le gouvernement peut utiliser cet article pour l’adoption de la loi de finance et celle de financement de la loi de financement de la sécurité sociale, en sus il peut l’appliquer sur un texte, pour les deux lectures, pendant la session ordinaire mais aussi pendant les sessions extraordinaires. En 2008, cela aurait représenté huit possibilités.
(2) Cet article permet au gouvernement d’écarter des amendements qui n’auraient pas été soumis préalablement à la commission, et, dans ce débat, le gouvernement l’a injustement appliqué aux sous-amendements.