Contribution des députés du groupe SRC - 26/11/08
Contribution des députés du groupe Socialiste, radical et citoyen(M. Jean Mallot, Mmes Catherine Génisson, Catherine Lemorton, Martine Carrillon-Couvreur, Marie-Françoise Clergeau, et Marisol Touraine) Un rapport qui ne règle pas la question des ALD mais prépare des évolutions risquées pour le devenir de l’assurance maladie. Le rapport fait le point sur le système de prise en charge des ALD, « affections de longue durée ». Il en montre la complexité, les avantages et les inconvénients, et avance des propositions très diverses allant de la modification du régime actuel à son remplacement par un bouclier sanitaire. Depuis quelques années, lorsque l’on parle de la situation financière de l’assurance maladie, et de la progression du volume des dépenses, les ALD sont pointées du doigt. Leur remise en cause est souvent évoquée, en raison de leur coût et aussi du fait que ce système ne serait pas satisfaisant pour les malades. Le 19 février dernier, la Ministre de la Santé déclarait : « Les affections de longue durée (ALD) regroupent des maladies très diverses. Des maladies très graves, comme le cancer, le sida, Alzheimer… et des maladies moins graves comme le diabète ou l'hypertension ». Cette façon de hiérarchiser les maladies graves avait choqué les malades, leurs proches, et plus globalement les Français. Si les personnes atteintes de diabète vivent plus longtemps aujourd’hui, c’est grâce à l’amélioration de la prise en charge de la maladie et de ses complications. Les complications du diabète représentent près de 20 % des maladies cardiovasculaires. Elles sont aussi la première cause de cécité avant 65 ans, de plus de 8 000 amputations par an et de 20 % des dialysés, d’où l’importance d'une bonne prise en charge qui permet de bien se soigner. Peu de temps après, la Ministre est revenue sur ses déclarations et elle a écarté l'idée de dérembourser partiellement la prise en charge des affections de longue durée (ALD). En revanche, elle avait évoqué l'instauration d'un ticket modérateur et un durcissement de l'entrée dans le dispositif des ALD qui, selon ses propos, « peut donner lieu à un certain laxisme ». Elle oubliait que le système a déjà fait l’objet de plusieurs réformes tendant justement à mieux contrôler l’entrée dans le dispositif. ● Un système créé pour assurer la solidarité envers les plus malades et rigoureusement encadré L’assurance maladie créée en 1945 a pour première fonction de favoriser l’accès aux soins en prenant en charge la majeure partie des dépenses courantes de soins. Le dispositif des ALD est venu compléter le système. Il prévoit une exonération de ticket modérateur pour les patients dès lors qu’ils sont reconnus comme souffrant d’une pathologie figurant sur une liste réglementaire déterminée. Le rapport montre bien à quel point le système ALD est extrêmement contrôlé. Ainsi, depuis 1986, les exonérations concernent uniquement les soins liés à l’affection qui a justifié l’ouverture des droits pour le malade. Le médecin utilise pour cela une ordonnance appelée « bizone » distinguant les différentes prescriptions. La loi de 2004 a également instauré un protocole de soins qui définit les actes et prestations nécessaires. Il faut cependant pointer la « lourdeur administrative » du protocole de soins, qui pénalise les malades mais aussi les médecins, lesquels se plaignent à juste titre de la réduction du temps médical. ● L’augmentation du nombre de malades en ALD correspond à une réalité sanitaire En 2007, près de 8 millions d’assurés du régime général ont bénéficié du régime des ALD. Le nombre de patients admis a augmenté de 60 % en 10 ans. Cette augmentation est liée à celle de la prévalence des ALD. Elle s’explique par plusieurs facteurs : les évolutions épidémiologiques comme l’augmentation du diabète, l’amélioration du dépistage de ces maladies grâce notamment aux progrès de l’imagerie, l’amélioration de l’efficacité des traitements qui allonge la vie des malades. En réalité on pourrait se réjouir de l’augmentation du nombre de bénéficiaires du régime des ALD, car elle correspond à une amélioration de la prise en charge de ces pathologies. Par contre, cela induit effectivement des coûts et donc une augmentation des dépenses de santé : 70,7 milliards d’euros et près de 65 % des remboursements de l’assurance maladie en 2007. Mais, comme le souligne le rapport, la présentation qui est faite de la masse globale des dépenses résultant de la prise en charge des personnes en ALD est trompeuse : – il faut distinguer dans le surcoût net de l’exonération les autres facteurs qui alourdissent la dépense totale consacrée aux ALD, notamment la croissance du coût moyen des traitements. En effet, des études ont montré que l’exonération en elle-même n’entraîne pas une augmentation de la consommation pour une même affection traitée (rapport de la Cour des comptes) ; – pour prendre la vraie mesure du surcoût du régime des ALD, il faut comparer l’exonération ALD avec le taux de prise en charge des assurés non ALD. Il apparaît alors que le coût de l’exonération pour la sécurité sociale est limité à 10 % des remboursements de soins aux assurés en ALD. ● Un reste à charge qui demeure important pour les malades en ALD Rappelons que les malades en ALD supportent le poids des taxes sur les malades. La liste des contributions déjà supportées par les malades est de plus en plus longue : la hausse du forfait hospitalier, le forfait de 1 € par consultation, qui peut être prélevé jusqu’à quatre fois par jour, et le forfait de 18 € sur les actes de plus de 91 euros, les franchises médicales. Les conséquences sanitaires, sociales (recours tardifs aux soins…), et financières de ces mesures n’ont pas été évaluées. Elles apportent des ressources marginales eu égard au déficit des comptes de l’assurance maladie et aux dépenses proportionnellement fortes pour les foyers les plus modestes et les plus fragilisés par la maladie. Les personnes touchées par une affection de longue durée voient leur budget doublement atteint par leur précarisation sociale et professionnelle : un million des personnes en ALD et 3,3 millions de personnes non ALD ont un reste à charge excédant 600 euros annuels, selon le rapport de R. Briet et B. Fragonard. Le débat sur les ALD aboutit à un débat plus large sur la part respective de financement entre le régime obligatoire, les assurances complémentaires, et les ménages. D’ailleurs à l’occasion d’un discours au Sénat à l’automne 2007, le Président de la République a souhaité une réflexion sur la part publique et la part privée consacrée à la dépense de santé, en appelant de ses vœux une augmentation de la part privée. Le 24 juin 2008, le directeur de la CNAM a provoqué une levée de boucliers en préconisant, dans le plan d’économies demandé par le Gouvernement (malgré l’absence de saisine du comité d’alerte, la prévision de hausse des dépenses de santé n’ayant pas dépassé le seuil d’alerte contrairement à l’année précédente), de transférer aux assurances complémentaires le remboursement des médicaments à vignette bleue (35 %) des patients en ALD. Les récents rapports commandés par le Gouvernement démontrant la bonne santé financière des assurances complémentaires et les multiples déclarations de la Ministre de la santé vantant le fort taux de prise en charge global de la population nous incitent à la prudence et à la plus grande vigilance. Le Gouvernement fait manifestement le choix d’une diminution de la part publique dans la prise en charge des soins. En mai 2006, la Haute Autorité de santé (HAS) avait appelé à une « réflexion » sur la prise en charge à 100 % des pathologies graves. Ayant mené ces travaux pour une vingtaine de ces pathologies, elle était arrivée à la conclusion que le système n'est pas réformable et qu'il vaudrait mieux le supprimer. Dans un avis publié le 10 décembre 2007, elle juge que « le système actuel est inadapté au motif qu’il s'efforce de poursuivre à l'aide d'un même outil deux objectifs distincts : un objectif social (exonération du ticket modérateur) et un objectif médical (protocolisation des parcours de soins) ». Or, les sommes restant à la charge de certains patients en ALD sont élevées et le suivi médical n'est pas forcément meilleur. Elle soutient l’idée du bouclier sanitaire et préconise une « réforme d'ensemble rapide du dispositif » en définissant « des outils appropriés pour chacun des objectifs ». Le niveau de la prise en charge ne serait plus lié à la nature de la pathologie. Le volet social devrait reposer sur une mesure objective des coûts supportés par l'assuré. Il ne devrait pas faire intervenir des critères de nature médicale. Le bouclier sanitaire garantirait que les sommes restant à la charge d'une personne pour sa santé seraient plafonnées annuellement. Dans cet avis, la Haute Autorité de santé critique à juste titre deux autres scénarios que le présent rapport évoque également : – l’actualisation médicale des critères des ALD qui « figerait durablement une situation très peu satisfaisante ». – le retrait de la liste d’une partie des 30 ALD, en ne conservant que les « affections chroniques évolutives » : par exemple l'hypertension artérielle, les formes non compliquées de certaines maladies (diabète) … mais selon la HAS ce scénario serait « fragile compte tenu de l'absence de définition explicite des soins particulièrement coûteux », et « contradictoire avec l'objectif de santé publique qui reste d'éviter les complications grâce à une prise en charge de qualité aussi précoce que possible ». ● Le bouclier sanitaire : une réforme complexe et dangereuse en l’état actuel En septembre 2007 le rapport remis par Raoul Briet (membre de la HAS) et Bertrand Fragonard (président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie) évaluait la possibilité de mettre en place un dispositif de type « bouclier sanitaire » évoqué durant l’été 2007 par Martin Hirsch. Le présent rapport évoque cette possibilité qui a manifestement la faveur du rapporteur. Elle consisterait à instaurer un plafond annuel au-delà duquel les dépenses seraient entièrement prises en charge par l’assurance maladie, en dehors des dépassements et des franchises. Ce plafond pourrait être variable en fonction du revenu avec dès lors un risque de remise en cause du « pacte de 1945 ». Un tel bouclier existe en Allemagne et en Belgique où le plafond de dépenses est compris entre 1 % et 3 % du revenu. Ce bouclier remplacerait notamment le régime des ALD et tous les assurés auraient le même taux de remboursement, quelles que soient leurs pathologies. Cela aurait le mérite de régler le problème de la distinction parfois difficile à faire entre les soins relevant de l’ALD et les autres, pour une même personne. Néanmoins, à l’heure actuelle le bouclier sanitaire apparaît comme extrêmement compliqué à mettre en œuvre. Le rapport évoque un délai minimal de 2 ans. ● Il faut renforcer le régime obligatoire, seul garant d’une véritable amélioration de la qualité et de l’accès aux soins pour tous Une réforme comme la mise en place d’un bouclier sanitaire serait rapidement dévoyée de son objet par le Gouvernement et sa majorité qui, compte tenu de ses intentions, risque d’en faire simplement un instrument pour réduire la prise en charge et augmenter la part des assurances complémentaires. Il faut rappeler que l’augmentation de la taxe sur les assurances complémentaires votée par la majorité dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 va se traduire à terme par une hausse des cotisations pour les assurés. Par ailleurs, un certain nombre de personnes n’ont pas d’assurance complémentaire : le rapport rappelle que « plus d’un million de personnes en ALD ne sont pas couvertes par une complémentaire, il s’agit d’assurés modestes, âgés, et inactifs ». Plutôt que d’augmenter les aides à l’accès à une complémentaire il convient de renforcer et de sécuriser le régime obligatoire. En conclusion, le recours au bouclier sanitaire ne peut être la seule solution à envisager. Il faut en priorité définir de nouvelles modalités de prise en charge des maladies chroniques, dans un système solidaire, avec comme objectifs l’amélioration de la qualité et de la coordination de la prise en charge des patients. Dans la perspective d’un débat sur ce sujet, il faut également inclure la question d’un réel encadrement des dépassements d’honoraires, du maintien d’une offre à tarifs opposables dans tous les territoires, de la meilleure articulation des rôles entre régime obligatoire et régime complémentaire, et de la création d’un plan personnalisé de prévention et de soins, en plus de la prise en charge financière. |